Mouvement brownien I 📈 : avec une base d'ondelettes

Septembre 2023

Un mouvement brownien est une fonction réelle BB sur [0,1][0,1], aléatoire, gaussienne (au sens où toutes les marginales sont conjointement gaussiennes), centrée, et de covariance E[BsBt]=min(s,t)\mathbb{E}[B_s B_t] = \min(s,t). Le fait qu'une telle chose existe n'est pas une évidence et c'est un passage obligé de tous les cours de M2; la construction ci-dessous est relativement classique, c'est une généralisation de celle de Paul Lévy.

Cette construction a le mérite d'être visuelle et de donner directement une limite continue, alors que d'autres constructions (notamment la construction abstraite L2L^2) nécessitent de justifier la continuité en utilisant des résultats plus techniques comme le lemme de continuité de Kolmogorov.

Base d'ondelette

Soit φ\varphi une ondelette-mère, c'est-à-dire une fonction continue dont le support est [0,1][0,1], vérifiant

01ψ(x)dx=001ψ(x)2dx=1. \int_0^1 \psi(x)dx = 0 \qquad \int_0^1 |\psi(x)|^2 dx = 1.

Si cette ondelette possède certaines propriétés, il est possible de définir une base de L2(0,1)L^2(0,1) en variant l'échelle et la position de cette ondelette. Pour cela, on pose φ0=1,φ1=ψ\varphi_0 = 1, \varphi_1 = \psi, et pour chaque échelle j2j \geqslant 2,

φj,k(x)=2j12ψ(2j1xk)k=0,1,2,,2j11. \varphi_{j,k}(x) = 2^{\frac{j-1}{2}}\psi(2^{j-1}x - k) \qquad \qquad k= 0, 1, 2, \dots, 2^{j-1}-1.
Théorème. La famille des (φj,k)(\varphi_{j,k}) forme une base orthonormale de L2(0,1)L^2(0,1).

Les conditions garantissant ce résultat sont par exemple lisibles dans le livre de Yves Meyer. Voici à quoi ressemblent quelques bases d'ondelettes usuelles: 

Les primitives des ondelettes, 0tφj,k(t)dt\int_0^t \varphi_{j,k}(t){\rm d}t, ressemblent à ceci: 

Maintenant, on se donne une famille Xj,kX_{j,k} de variables aléatoires gaussiennes standard indépendantes et on pose

Btj=k=02j11Xj,k0tφj,k(x)dx. B_t^j = \sum_{k=0}^{2^{j-1}-1}X_{j,k}\int_0^t \varphi_{j,k}(x){\rm d}x.

Il faut interpréter BjB^j comme la variation du mouvement brownien à l'échelle 2j2^{j}. Le mouvement brownien sera défini comme la somme de toutes ces variations : 

Bt=j=0Btj=tX0+j=1k=02j11Xj,k0tφj,k(x)dx B_t = \sum_{j=0}^\infty B^j_t = t X_0 + \sum_{j=1}^{\infty}\sum_{k=0}^{2^{j-1}-1}X_{j,k}\int_0^t \varphi_{j,k}(x){\rm d}x

pour peu que cette série soit convergente –- c'est ce qu'on va vérifier après. Les variables aléatoires BtjB^j_t pour j=0,,8j=0, \dotsc, 8 sont visibles à gauche ci-dessous et leur somme donne la fonction à droite, qui ressemble déjà beaucoup à un mouvement brownien: 

Théorème d'existence du mouvement brownien.

La somme Bt=j=0BtjB_t = \sum_{j=0}^{\infty} B^j_t est presque sûrement uniformément convergente sur [0,1][0,1] et sa limite est un mouvement brownien.

Un lemme préliminaire

On aura besoin du résultat suivant: P\mathbb{P}-presque sûrement, pour toute échelle jj suffisamment grande on a

maxk2j11Xj,kj. \max_{k\leqslant 2^{j-1}-1}|X_{j,k}| \leq j.
Démonstration. Une variable gaussienne standard vérifie P(X>t)et2/2 \mathbb{P}(X>t) \leq e^{-t^2/2} pour tout t>1t>1. En particulier si on note AjA_j l'événement (5), la borne de l'union donne P(Aj)2j1P(X>j)2j1ej2/2\begin{aligned}\mathbb{P}(\overline{A_j})\leqslant 2^{j-1}\mathbb{P}(X>j) \leq 2^{j-1}e^{-j^2/2} \end{aligned} et donc P(Aj)<\sum \mathbb{P}(\overline{A_j})<\infty. Presque sûrement, seul un nombre fini de Aj\overline{A_j} est donc réalisée (Borel-Cantelli), ce qui montre le résultat.

Le résultat précédent dit que si jj est suffisamment grand,

Btjjk=02j110tφj,k(s)ds. |B^j_t| \leq j \sum_{k=0}^{2^{j-1}-1} \left|\int_0^t \varphi_{j,k}(s)ds \right|.

L'ondelette φj,k\varphi_{j,k} est nulle en dehors de l'intervalle (i2j1,(i+1)2j1)(i 2^{-j-1}, (i+1)2^{-j-1}), et son intégrale est nulle. On en déduit que si tt n'est pas dans cet intervalle, alors

0tφj,k=k2j1(k+1)2j1φj,k=0. \int_0^t\varphi_{j,k} = \int_{k2^{-j-1}}^{(k+1)2^{-j-1}} \varphi_{j,k} = 0.

Ainsi, dans la somme ci-dessus, seul le terme correspondant à l'intervalle dyadique contenant tt n'est pas nul, et on peut le borner très simplement :

0tφj,kφj,k=ψ12j12\left|\int_0^t \varphi_{j,k} \right| \leqslant \int |\varphi_{j,k}| = \frac{|\psi|_1}{2^{\frac{j-1}{2}}}

où la seconde égalité résulte d'un simple changement de variables y=2j1xy = 2^{j-1}x. De tout cela, on déduit que Btjcj2j/2|B^j_t| \leqslant c j 2^{-j/2}c=ψ12c=|\psi|_1 \sqrt{2} est une constante indépendante. Ceci étant vrai pour tout tt,

supt[0,1]jJBtjcjJj2j/2J0. \sup_{t\in[0,1]}\left| \sum_{j\geqslant J}B^j_t\right| \leq c \sum_{j\geq J}\frac{j}{2^{j/2}} \xrightarrow[J\to\infty]{} 0.

Cela montre bien que la série Btj\sum B^j_t est uniformément convergente dans l'espace de Banach (C[0,1],)(\mathscr{C}[0,1], |\cdot|_{\infty}); sa limite BtB_t est donc une fonction continue.

La limite est un mouvement brownien

Pour vérifier que BB est un MB il suffit de vérifier que (1) c'est un processus gaussien (2) centré et (3) vérifiant E[BtBs]=min(t,s)\mathbb{E}[B_t B_s] = \min(t,s). Comme toute limite de lois gaussiennes est elle-même gaussienne, le point (1) est vérifié. D'autre part, on peut écrire

Bt=j=0k=02j11Xj,k0tφj,k(x)dx B_t = \sum_{j=0}^\infty \sum_{k=0}^{2^{j-1}-1}X_{j,k}\int_0^t\varphi_{j,k}(x)dx

où la convergence est presque sûrement uniforme, donc les interversions de séries et d'intégrales ci-dessous sont justifiées: 

EBt=j=0k=02j11E[Xj,k]0tφj,k(x)dx=0 \mathbb{E}B_t = \sum_{j=0}^\infty \sum_{k=0}^{2^{j-1}-1}\mathbb{E}[X_{j,k}]\int_0^t\varphi_{j,k}(x)dx = 0

ce qui justifie le point (2), et enfin pour (3):

E[BsBt]=i=0j=0k=02j11=02j11EXi,Xj,k0tφj,k(x)dx0tφi,(x)dx=i=0=02j110tφj,k(x)dx0sφi,(x)dx=i=0=02j11φi,,1[0,t]φi,,1[0,s]\begin{aligned} \mathbb{E}[B_s B_t]& = \sum_{i=0}^\infty \sum_{j=0}^\infty \sum_{k=0}^{2^{j-1}-1}\sum_{\ell=0}^{2^{j-1}-1}\mathbb{E}X_{i,\ell}X_{j,k}\int_0^t\varphi_{j,k}(x)dx\int_0^t\varphi_{i,\ell}(x)dx \\ &= \sum_{i=0}^\infty \sum_{\ell=0}^{2^{j-1}-1}\int_0^t\varphi_{j,k}(x)dx\int_0^s\varphi_{i,\ell}(x)dx \\ &= \sum_{i=0}^\infty \sum_{\ell=0}^{2^{j-1}-1} \langle \varphi_{i,\ell}, \mathbf{1}_{[0,t]}\rangle \langle \varphi_{i,\ell}, \mathbf{1}_{[0,s]}\rangle \end{aligned}

où ces derniers produits scalaires sont dans L2(0,1)L^2(0,1). Comme (φi,)(\varphi_{i,\ell}) est une base hilbertienne de cet espace, l'égalité de Parseval dit que le dernier terme est égal à

1[0,t],1[0,s]=011xs1xtdx=min(s,t).\langle \mathbf{1}_{[0,t]}, \mathbf{1}_{[0,s]}\rangle = \int_0^{1}\mathbf{1}_{x\leqslant s}\mathbf{1}_{x\leqslant t}dx = \min(s,t).

La construction de Paul Lévy

Le choix de ψ(x)=1\psi(x) = -1 si x1/2x \leq 1/2 et 11 si x>1/2x>1/2 donne une famille (φj,k)(\varphi_{j,k}) appelée base de Haar. On voit les premiers termes dans les graphes au début de cette note.

Ce choix correspond exactement à la construction géométrique utilisée par Paul Lévy, et exposée dans lui-même par exemple ici : sa démonstration est exactement celle ci-dessus, la formule (1) dont il est question étant simplement la loi du brownien à savoir

BtBs=tsξ B_t - B_s = \sqrt{t-s}\xi

ξ\xi est une gaussienne standard.

L'avantage de cette construction est qu'elle donne directement une fonction continue. Cependant, elle a un grand défaut : comme les primitives des ondelettes 0tφj,k(x)dx\int_0^t \varphi_{j,k}(x){\rm d}x ne forment pas une base (même si les ondelettes en forment une), il n'est pas évident de trouver les coefficients de BB dans la base d'ondelettes ! La construction de Karhunen-Loève répond à ce problème. Michel Loève était d'ailleurs un étudiant de Paul Lévy.

Références