Super-Catalan

Janvier 2022

Les « nombres de Super-Catalan » sont :

S(n,m)=(2n)!(2m)!n!m!(n+m)! S(n,m)=\frac{(2n)!(2m)!}{n!m!(n+m)!}

mm et nn sont des nombres entiers. En 1867, Catalan propose aux étudiants de lycée de classes préparatoires de démontrer le théorème suivant (c'est dans les Nouvelles Annales Mathématiques) : 

Théorème. S(n,m)S(n,m) est un nombre entier.

Peu intéressant : une démonstration arithmétique

C'est pas compliqué, il suffit de vérifier que les diviseurs du dénominateur BB sont aussi des diviseurs du numérateur AA, et on peut se restreindre aux diviseurs premiers. On calcule la puissance β\beta de pp dans la décomposition de BB, la puissance α\alpha de pp dans celle de AA, et on vérifie que αβ\alpha \geqslant \beta. Il est facile de voir que la plus grande puissance de pp qui divise n!n! est

k=1n/pk \sum_{k=1}^\infty \lfloor n/p^k \rfloor

et donc

β=k=1n/pk+m/pk+(n+m)/pk\beta = \sum_{k=1}^\infty \lfloor n/p^k \rfloor + \lfloor m/p^k \rfloor + \lfloor (n+m)/p^k \rfloor

Reproduisez donc l'argument pour le numérateur, et obtenez

α=k=12n/pk+2m/pk \alpha = \sum_{k=1}^\infty \lfloor 2n/p^k \rfloor + \lfloor 2m/p^k \rfloor

Pour terminer, vérifiez que chaque terme de cette seconde somme est plus grand que le terme correspondant dans la première, autrement dit que

n/pk+m/pk+(n+m)/pk2n/pk+2m/pk. \lfloor n/p^k \rfloor + \lfloor m/p^k \rfloor + \lfloor (n+m)/p^k \rfloor \leqslant \lfloor 2n/p^k \rfloor + \lfloor 2m/p^k \rfloor .

C'est certainement vrai.

Plus intéressant : une identité de Von Szily

La démonstration précédente est un peu nulle, parce que c'est une vérification brutale. En réalité, les S(n,m)S(n,m) sont entiers parce qu'ils peuvent s'écrire sous une forme intéressante : l'identité suivante est appelée identité de Von Szily.

S(n,m)=k(1)k(2mm+k)(2nn+k) S(n,m) = \sum_k (-1)^k \binom{2m}{m+k}\binom{2n}{n+k}

Démonstration. En identifiant le coefficient de z2mz^{2m} dans l'identité triviale (1+z)n+m(1z)n+m=(1z2)n+m(1+z)^{n+m}(1-z)^{n+m} = (1-z^2)^{n+m}, on obtient

(1)m(m+nm)=(1)mk(m+nm+k)(m+nn+k) (-1)^m \binom{m+n}{m} = \sum (-1)^{m-k}\binom{m+n}{m+k}\binom{m+n}{n+k}

et il suffit de multiplier par (1)m(2m)!(2n)!/(m+n)!2(-1)^m (2m)!(2n)!/(m+n)!^2 pour tomber sur ce qu'on cherche.

Cette identité est déjà plus parlante : quand il y a des sommes de nombres combinatoires avec des (1)k(-1)^k, on pense tout de suite à la formule du crible. En particulier, on aimerait bien croire que les nombres S(n,m)S(n,m) comptent quelque chose...

Très intéressant : qu'est-ce qu'une « interprétation combinatoire » ?

Une interprétation combinatoire d'une suite d'entiers (an)(a_n) consiste à trouver des ensembles intéressants, disons AnA_n, tels que an=Card(An)a_n = \mathrm{Card}(A_n). Typiquement, il n'est pas difficile de montrer arithmétiquement que les nombres de Catalan, les vrais, à savoir

Cn=1n+1(2nn)C_n = \frac{1}{n+1}\binom{2n}{n}

sont des nombres entiers, mais il est beaucoup plus élégant de voir qu'ils comptent des objets bien connus, par exemple le nombre de bons parenthésages de taille 2n2n. La plupart des combinatoriciens apprécient particulièrement ces démonstrations, qui sont souvent élégantes, satisfaisantes, et parfois très subtiles. Parmi les bijections combinatoires bien connues, citons les plus classiques : 

i=1rj=1si+j+t1i+j1 \prod_{i=1}^r \prod_{j=1}^s\frac{i+j+t-1}{i+j-1}

est entier et compte le nombre de partitions planes d'une boîte de taille (r,s,t)(r,s,t).

Et donc, que comptent les nombres de Super-Catalan ? 

Chemins dans le plan

Dans la plupart des problèmes concernant l'interprétation combinatoire de nombres définis avec des quotients de factorielles, on réussit d'abord à trouver une interprétation en termes de chemins sur une grille : par exemple, (n+mn)\binom{n+m}{n} compte le nombre de chemins de la grille Z2\mathbb{Z}^2 qui partent à l'origine, qui font n+mn+m pas vers le haut ou la droite, et qui finissent au point (n,m)(n,m). Voilà les (84)=70\binom{8}{4}=70 chemins qui vont de (0,0)(0,0) à (4,4)(4,4)

Les nombres de Catalan comptent exactement les mêmes chemins, mais qui restent au-dessus de la diagonale : voici les C3=(63)/(3+1)=5C_3 = \binom{6}{3} / (3+1) = 5 chemins,

Mais pour les nombres de Super-Catalan, on n'a encore rien trouvé de la sorte.

Et donc…

Évidemment, on peut très bien faire celui qui ne comprend pas, et dire que S(n,m)S(n,m) compte le nombre d'éléments de l'ensemble {1,,S(n,m)}\{1, \dotsc, S(n,m)\}. Ça n'est pas si bête, car ça pose la vraie question : qu'est-ce qu'une interprétation combinatoire ? On veut que les ensembles AnA_n aient une structure plus riche que {1,,an}\{1,\dotsc,a_n\} : typiquement, on demande une représentation de AnA_n permettant de vérifier qu'un élément appartient à AnA_n de façon algorithmiquement efficace. Igor Pak propose la définition suivante: soient AnA_n des ensembles de cardilan An=an|A_n| = a_n.

On dit que AnA_n est une interprétation combinatoire de AnA_n lorsque l'appartenance à AnA_n peut être décidée en espace O(logn)O(\log n).

Avec cette définition, les nombres de Super-Catalan ont une interprétation combinatoire à base d'ensembles de chemins construits par récurrence (voir le Théorème 4.4 dans cet article), mais il n'y a pas vraiment de description de ces ensembles, ce qui n'est guère satisfaisant...

Références

Et enfin, un portrait quand même très austère d'Eugène C. en 1884 par Émile Delpérée :

pépé Catalan