Un mouvement brownien est une fonction réelle sur , aléatoire, gaussienne (au sens où toutes les marginales sont conjointement gaussiennes), centrée, et de covariance
Dans cette précédente note j'ai expliqué comment on pouvait construire un mouvement brownien en s'aidant d'une base orthonormale ; pour résumer, si est une base orthonormale de bien choisie et si est une suite iid de gaussiennes, alors la série
converge uniformément et c'est un mouvement brownien.
Le problème de cette construction, c'est qu'elle ne donne pas la décomposition de dans cette base ! En effet, même si les fonctions forment une base, les fonctions
n'en forment pas une en général. Pourtant, comme est une fonction continue et a fortiori , on peut décomposer
où . Le problème est que les ne sont pas iid et que leur calcul nécessite de déterminer les produits scalaires entre et , ce qui n'est pas évident.
On aimerait donc spécifier n'importe quel processus gaussien directement par ses coefficients dans une base orthonormale. C'est ce que fait la décomposition de Karhunen-Loève : étant donnée une fonction de covariance (par exemple (1)), on trouve une base orthonormale adaptée à cette covariance et qui répond au problème. Dans le cas du mouvement brownien cela donne la représentation suivante:
Soit une suite de gaussiennes standard iid. La série suivante converge au sens vers un mouvement brownien:
La construction est en fait valable pour n'importe quelle fonction de covariance ; la base en question et les nombres qui apparaissent dans la somme vont dépendre de . Ceux ci-dessus sont adaptés à la covariance du brownien, . Par rapport à la construction de Lévy, on a gagné la vraie décomposition de dans une base orthonormale ; mais on a perdu la continuité automatique.
Michel Loève (1907 - 1979), d'origine palestitienne, a eu pour directeur de thèse Paul Lévy. Kari Karhunen (1915 - 1992) était finlandais et avait eu Nevanlinna comme directeur de thèse.
La clé est le résultat suivant, un pur produit d'analyse fonctionnelle dû à James Mercer en 1909.
On dit qu'une fonction est un noyau positif si elle est symétrique, continue, et si pour tous la matrice est définie positive.
Si est un noyau positif, il existe une base orthonormale de et des nombres positifs tels que et où cette série converge uniformément sur .
Les sont les valeurs propres et fonctions propres associées à l'opérateur à noyau où
Autrement dit, les fonctions propres et valeurs propres se trouvent en résolvant les équations
J'ai écrit une démonstration dans cette note. L'idée générale simple si l'on connaît un peu de théorie spectrale : l'égalité (6) est vraie au sens et il suffit de lui donner un sens pour tout , ce qui est une conséquence de la continuité de .
Soit un noyau comme dans le théorème ci-dessus. On cherche un processus gaussien centré de covariance ; on pose
où les sont les fonctions propres et valeurs propres de l'opérateur de noyau comme dans le théorème de Mercer. Cette construction répond au problème; elle s'appelle construction de Karhunen-Loève.
Démonstration. On remarque déjà que , donc la somme est finie presque sûrement et est bien défini (série absolument convergente dans ). Le fait que soit centré est évident. Pour la covariance, on a
Cela répond donc au problème.
Évidemment, toute la difficulté consiste à calculer la base qui diagonalise l'opérateur à noyau .
On veut diagonaliser l'opérateur intégral où
On cherche donc un couple , tel que , c'est-à-dire
Si cette identité est vraie et alors on voit vite que est deux fois dérivable, et en dérivant on obtient
puis en re-dérivant
Les solutions sont donc des combinaisons linéaires de et avec fréquence . On voit aussi que ne peut pas être nul. Comme manifestement (12) implique que , il n'y a pas de cosinus: pour une constante . D'autre part on voit que soit et donc pour un certain entier , que l'on peut prendre positif ou nul car le sinus est symétrique. On en déduit que
et on vérifie facilement que donc pour que soit normalisée. On se convaincra facilement que la famille
forme une base orthonormale de qui diagonalise l'opérateur de noyau , avec les valeurs propres associées
La représentation de Karhunen-Loève nous donne donc
où les sont des gaussiennes standard iid. Cette série converge au sens mais on pourrait vérifier qu'elle converge aussi presque sûrement.
Le théorème de Sturm-Liouville dit que pour toute fonction continue , il existe une base de composée de fonctions , disons , et des nombres positifs distincts qui tendent vers l'infini, tels que et
Ces fonctions sont en fait les fonctions propres de l'opérateur de noyau où sont deux solutions de avec des conditions initiales bien choisies pour qu'elles soient orthogonales, et est une constante. Dans le cas ci-dessus on a et les conditions initiales donnent et ; la constante est en fait égale à et donc on trouve bien .